Victimes des essais nucléaires: encore un effort M. Morin! Il était plus que temps. Après des années -des décennies - de déni, la France va donc enfin indemniser les victimes des essais nucléaires. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, l'a annoncé hier. Il va déposer un projet de loi dans ce sens courant 2009. Les
personnes souffrant de maladie "radio-induites" (leucémies, cancer
broncho-pulmonaire...) et qui ont été exposées aux radiations dues aux
essais atomiques pourront être indemnisées. Quelques 100 000 hommes ont participé aux 210 essais nucléaires de 1960 à 1996. Combien sont ou seront malades? Des dizaines? Des centaines? Des milliers? Une commission sera chargée d'établir les faits puis de compenser financièrement ce qui peut l'être. En outre, le ministre de la Défense a annoncé qu'il avait demandé à ses services depuis plusieurs mois de
ne plus contester les décisions de justice défavorables à son ministère dans ce domaine. Tout n'est pas réglé. Les associations de défense des victimes se plaignent de
conditions d'indemnisation trop restrictives. Elles ne comprennent pas pourquoi
les populations locales ne sont pas concernées par cette loi. Moi non plus. Encore un effort M. Morin! Mais, reconnaissons-le, un pas majeur vient d'être franchi. Des
années après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la France reconnaît
enfin officiellement l'existence d'un lien entre essai nucléaire et
maladie grave. Le scandale durait depuis cinquante ans.
Depuis 1960, tous les gouvernements ont ignoré le problème, ou plutôt l'ont soigneusement
caché à la population. Pour ne pas discréditer ces tests atomiques et par là la force de frappe. Aussi
et peut-être surtout pour camoufler les erreurs, les négligences
coupables des responsables de la Direction des Applications Militaires
du CEA de l'époque.
Quand elle était au pouvoir, même la gauche, surtout elle!, n'a rien fait pour lever la chape de plomb. Au contraire. En
1998, alors que Lionel Jospin venait d'arriver à Matignon, je suis
allé consulter les archives des essais nucléaires récemment ouvertes. On y trouvait les récits "secrets" d'incidents graves, de contaminations... J'ai donc commencé à travailler au Fort de Vincennes. Jusqu'au
jour où, ayant appris qu'un journaliste enquêtait sur le sujet, le
directeur de cabinet du ministre de la Défense a ordonné que ces
archives me
soient retirées de force et soient refermées. Heureusement j'ai eu le temps de faire, le plus légalement du monde, quelques copies. J'ai donc pu écrire le premier article sur les incidents nucléaires fondé sur des preuves d'archives. Plusieurs années plus tard, j'ai confié ces documents à des défenseurs de ces victimes
si mal traitées par la République. Pour
avoir donné ces documents vieux de trente ans, le porte-parole du
ministère de la Défense de l'époque m'a publiquement menacé d'un procès
pour divulgation de secrets militaires. Heureusement cette période semble révolue. Sauf que
les archives n'ont toujours pas été réouvertes. Oui, encore un effort M. Morin.
Vincent Jauvert