Les psys appellent à un électrochocLe discours répressif de Nicolas Sarkozy, le 2 décembre, a mis la
psychiatrie publique en ébullition. «Libération» publie «l'Appel» des
39 qui exprime le mécontentement du secteur.
Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot en visite à l'hôpital psychiatrique d'Antony, le 2 décembre.
(REUTERS)
L’onde de choc est
violente. Depuis le 2 décembre et le discours de Nicolas Sarkozy à
l’hôpital psychiatrique d’Antony (Hauts-de-Seine), où il a présenté
«un plan de sécurisation des hôpitaux»,le monde de la santé mentale est sens dessus dessous. Comme sidéré par
ces annonces, formulées après l’agression mortelle d’un étudiant
grenoblois par un patient de l’hôpital de Saint-Egrève (lire page
ci-contre).
Le 2 décembre, le chef de l’Etat a parlé de réformes de la loi
d’hospitalisation ; demandé la création de 200 chambres d’isolement ;
exigé le contrôle des permissions de sortie ; proposé la
systématisation des soins sous contrainte. Plus saisissant, il a
suggéré l’utilisation de bracelets électroniques pour les malades, à
l’instar des délinquants. Un discours perçu comme un terrible retour en
arrière. En écho, se multiplient initiatives et prises de positions,
parfois contradictoires. Jusqu’à cet «Appel des 39», ce week-end,
demandant aux soignants de
«sortir de la résignation» (lire page 4).
Vendredi soir, dans un local syndical à Paris, ils sont donc 39 à
tenter d’apporter une réponse commune. Fait peu habituel, il y a là les
représentants de presque tous les syndicats de psychiatres, mais aussi
des psychologues, des psychanalystes, des infirmiers. Ils sont réunis à
l’initiative d’Hervé Bokobza, psychiatre à Montpellier, à l’origine des
Etats généraux de la psychiatrie en 2003. Ce fut, alors, un moment
fort, mais qui n’a débouché sur rien. Cinq ans plus tard, la communauté
des psys va-t-elle se réveiller ?
«En tant que jeunes internes, on se sent coincés. Les chambres
d’isolements ? On y a été habitués. L’omniprésence des neuroleptiques
aussi. Les psychiatres sont complices. C’est un appel aux plus vieux !
Réveillez-vous, prenez position», a lancé le président des internes en psychiatrie.
«La majorité de nos collègues ont été choqués par le discours du
Président. Mais comment réagir ? Faut-il aller trop vite, trop loin ?»
s’est interrogé Angelo Poli, qui dirige le Syndicat des psychiatres
d’exercice public.«Attendez, lâche un confrère, dans mon petit hôpital
de province, je me bats déjà tous les jours contre les consignes du
préfet, qui veut restreindre toutes les sorties des malades. Je ne sais
pas combien de temps je vais tenir.» Patrick Chemlat, psychiatre
reconnu, qui dirige un secteur à Reims : «Des traitements obligatoires,
en ambulatoire, c’est-à-dire quand les patients sont chez eux, jamais
je ne pensais que je verrais cela.» Une colère, évidente, massive, s’est déversée durant la soirée. Et, au final, un appel. «
Il y a plein d’îlots de résistance, il faut les unir», a insisté Hervé Bokobza.
Que va-t-il se passer ? Au sein de la psychiatrie française, la
situation reste un brin confuse. Entre les tenants d’une réponse forte
et ceux qui ne veulent pas se laisser enfermer dans un discours
«pour ou contre la sécurité».Reste que la psychiatrie publique va mal. Délaissée, ballottée au
gré des faits divers. En vingt ans, elle a perdu plus de 100 000 lits,
sans qu’ils soient, le plus souvent, remplacés par des structures
intermédiaires. Pendant ce temps-là, les malades sont pris en charge,
parfois avec chaleur, d’autres fois avec des pratiques inhumaines.
Souvent, ils attendent des semaines avant d’obtenir une consultation.
Et nombre d’entre eux sont renvoyés dans la rue ou en prison.