Hugo Chavez est fou !
par
Greg PalastArticle publié le 13 juillet 2003
Au mois de juin dernier, sur la première page du journal
San Francisco Chronicle, une photo d’
Associated Pressd’un groupe de manifestants était accompagnée de la légende suivante :
« DES DIZAINES DE MILLIERS DE VENEZUELIENS OPPOSES AU PRESIDENT CHAVEZ ».
La légende nous apprenait que l’homme fort
sud-américain était un tueur, un autocrate, et que le peuple voulait
s’en débarasser. La légende poursuivait :
« [Des
Vénézuéliens] ont marché samedi pour exiger sa démission et la punition
pour les responsables des 17 morts au cours du coup d’Etat
d’avril. »Chavez, pars maintenant !« pouvait-on lire sur une énorme
banderole. »Il n’y avait pas à proprement parler d’article dans le journal -
l’Amérique du Sud n’en vaut pas vraiment la peine - juste une photo et
une légende. Mais le
Chroniclesavait qu’il n’y avait pas besoin d’article. Les Vénézuéliens
détestaient leur terrible président, et la photo en était la preuve.
Je pourrais confirmer l’existence de ces grandes
manifestations. J’étais au Vénézuéla il y a encore peu et j’ai vu
100.000 personnes manifester contre le Président Chavez. Je les ai
filmés pour
BBC Television London.
Mais j’ai aussi filmé ceci : une manifestation plus
grande encore, largement plus de 200.000, de Vénézuéliens en soutien à leur président, Chavez.
Aucun journal états-unien n’a publié les images de la manifestation pro-Chavez, pourtant plus nombreuse.
Le mois suivant, lorsque le
New York Times publia une photo de manifestants anti-Chavez, ces derniers s’étaient démultipliés. Le
Times parlait de 600.000 personnes qui avaient manifesté contre Chavez.
Une fois de plus, les manifestants pro-Chavez, plus
nombreux, avaient « disparu » comme on dit en Amérique latine. Je
suppose qu’ils ne méritaient pas d’être mentionnés.
Observez la photo d’AP publiée par le
Chronicle des manifestants anti-Chavez au Venezuela. Remarquez leur couleur. Blancs.
Et pas n’importe quel blanc. Un joli blanc riche et crémeux.
J’en ai interviewé et enregistré dans l’ordre : un
banquier en talons aiguilles, un cadre de l’industrie pétrolière (même
tenue), et un propriétaire de plantation qui était arrivé à Caracas au
volant d’une Jaguar argentée.
Et quelle était la couleur des manifestants
pro-Chavez ? Brun foncé. Bruns et ronds comme des noix de cola - tout
comme leur héro, leur président Chavez. Ils portaient tous des jeans et
des T-shirts.
Que je vous explique.
Pendant 500 ans, le Venezuela a été dirigé par une minorité de gens très blancs, descendants pure-sang des
conquistadorsespagnols. Pour les plus de 80% de Vénézuéliens qui sont bronzés, Hugo
Chavez est leur Nelson Mandela, l’homme qui a démoli l’apartheid
économique et social qui a maintenu les millions de peaux-colorées
entassées dans des maisons en carton sur les collines au-dessus de
Caracas tandis que les blancs profitaient de leur splendeur dans le
centre de la ville. Chavez, comme me l’a dit avec mépris un journaliste
blanc de Caracas, leur donne des briques et du lait et ils votent pour
lui.
Pourquoi est-ce que je vous explique tout ceci ? Si vous avez regardé
BBC TV ou
Canadian Broadcasting, vous le sauriez déjà. Mais si vous lisez le
New York Times,
tout ce que vous savez c’est que Chavez est un « autocrate », un
« démagogue dispendieux », un « dictateur » en puissance, qui a
démissioné lorsqu’il a reconnu son impopularité.
Drôles de mots - « dictateur » et « autocrate » - pour
parler de Chavez, qui a été élu par une écrasante majorité des voix
(56%). Contrairement à notre président à nous (George W.Bush).
Le 12 avril 2002, Chavez démissiona de la présidence.
C’était marqué là, dans le journal. Dans chaque journal des Etats-Unis,
tous. Apparemment, pour citer le
New York Times, Chavez avait admis son impopularité, et avait décidé de partir :
« avec
la démission hier du Président Hugo Chavez, la démocratie vénézuélienne
n’est plus menacée par un dictateur en puissance ».
Le problème est que l’histoire de la « démission » fut
inventée, une pure fantaisie. En fait, le Président du Venezuela avait
été enlevé par la force des armes et emmené en hélicoptère. Il n’avait
pas démissioné. Il n’a jamais démissioné. Et un de ses geoliers (qui
était secrètement un partisan de Chavez) lui tendit un téléphone
portable. Chavez appela ses amis et sa famille pour confirmer qu’il
était toujours en vie - et toujours le président.
Travaillant pour le
Guardian et la
BBC,
j’ai pu, quelques heures seulement après l’enlèvement, entrer en
contact avec de hauts responsables du gouvernement du Venezuela et leur annoncer que cette « démission » était une pure invention.
Mais il s’agissait d’une invention importante pour le
Département d’Etat des Etats-Unis. La fausse démission apporta une
pseudo-légitimité aux nouveaux dirigeants du Venezuela soutenus par le
gouvernement des Etats-Unis - Chavez avait démissioné ; le changement de gouvernement était légal, pas un coup d’état. (L’Organisation des États Américains ne reconnait pas les gouvernements qui prennent le pouvoir par la force.) Si les meneurs du coup d’État ne s’étaient pas emmêlés les pinceaux - le coup d’État échoua au bout de 48 heures - ou s’ils avaient assassiné Chavez, nous n’aurions jamais connu la vérité.
Les journaux états-uniens se sont largement plantés -
mais comment ? Qui était à l’origine du mensonge sur la « démission » ?
J’ai demandé à un journaliste états-unien pourquoi les médias US
avaient diffusé cette absurdité comme un fait avéré sans vérifier
l’information. Il me répondit que l’information émanait d’une source
sure :
« C’est le Département d’Etat qui nous a donné cette information ».
Mince, alors.
« Il est fou, » crie un manifestant, à propos du Président Chavez, dans un reportage. Et si vous avez vu l’interview de Chavez diffusée dans l’émission
« 60 minutes », vous n’avez vu que quelques extraits d’une longue conversation - en fait quelques secondes biens choisies - qui, hors contexte, donnaient l’impression que Chavez était effectivement fou.
Dans l’ex-Union Soviétique, les dissidents étaient
emmenés dans des asiles pour être réduits au silence et discrédités.
Dans notre démocratie il y a des moyens plus subtiles - et plus
efficaces - pour réduire au silence et discréditer les dissidents. La
télévision, la radio et la presse écrite enferment les ennemis de
l’État dans les asiles des médias. C’est ainsi que la Représentante
Cynthia McKinney, critique de Bush, devint une « folle » et Chavez un
« autocrate » fou.
C’est l’asile électronique. Vous n’entendez plus ce
qu’ils ont à dire parce que le message est déjà passé à travers
l’image, la répétition, et vous ne faites pas attention à leurs
paroles... dans les rares cas où leurs paroles arrivent à franchir le
Mur de Berlin de la Télévision.
Essayez : faites une recherche internet par Google ou Lexis sur les mots Chavez et autocrate.
Qui est l’autocrate ? Aujourd’hui, il y a des centaines
de personnes détenues sans motifs dans les Etats-Unis de George Bush.
Au Venezuela, il n’y en a aucune.
Il ne s’agit plus du Venezuela, mais d’un Venezuela
virtuelle, créée pour vous par les gardiens de l’information des
Etats-Unis. Et toutes les issues sont gardées.
5 janvier 2003, New York City. J’ai acheté le
Sunday Timessur Delancey Street. Il semblerait que ce fils de pute de Chavez fait
encore des siennes : une grande photo d’une demi-douzaine de personnes couchées au sol. Le
Times raconte : « Les
manifestants se protégent des gaz lacrymogènes au cours d’un
rassemblement anti-Chavez, vendredi à Caracas, Venezuela. Au cours de la 33ème journée de grève nationale, plusieurs manifestants furent tués par balles. »
C’est tout. Toute l’histoire sur le Venezuela dans le Journal de Référence.
Il se pourrait bien que la taille n’ait pas
d’importance. Mais ceci en a une : même ce tout petit bout d’article
constitue une manipulation ouverte. Oui, deux personnes furent tuées
par balles - deux manifestants pro-Chavez.
Il serait faux de dire que tous les journaux états-uniens ont imité l’attitude lamentable du
Times.
Ailleurs, on pouvait voir une photo de la grande manifestation
pro-Chavez et la photo de la veuve « chavista » avec un dépêche
explicatif. Il est intéressant de noter que la version la plus complète
et sérieuse fut publiée par un journal peu amical à l’égard de Chavez :
El Diario, le plus vieux journal hispanophone de New York.
Ce qu’il faut en retenir : si vous voulez des
informations fiables aux Etats-Unis, il faut apprendre à parler une
autre langue que l’anglais.
Vendredi, 3 janvier, 2003. Le
New York Timespublia une longue « analyse du Venezuela ». Pour équilibrer
l’information, quatre experts furent cités : deux qui n’aimaient pas
Chavez et deux qui le détestaient.
Le journaliste du
Times écrivit que
« le président dit qu’il s’accrochera au pouvoir ».
« S’accrochera au pouvoir » ? Drôle de phrase pour un élu. J’ai moi-même parlé avec Chavez et ce n’est pas son style. Il a déjà déclaré qu’il
« effectuerait son mandat » - pas tout à fait la même chose que
« s’accrocher au pouvoir ». Mais, pour être franc, la citation du
Times n’avaient pas de guillemets.
Tout simplement parce que Chavez n’a jamais prononcé ces mots.
Traduction : Cuba Solidarity Project.