Le droit du travail, prochaine victime de la grippe A ?
Les mesures à mettre en place en cas de propagation rapide du virus H1N1
ne sont pas que sanitaires. Une circulaire officielle, relative à la
pandémie, s'attaque aux conditions de travail des salariés.
<http://www.liberation.fr/societe/0102582347-reaction-sur-le-droit-du-travail-prochaine-victimes-de-la-grippe-a>
*DELPHINE LEGOUTÉ*
circulaire «/relative à la pandémie grippale/»
<http://q.liberation.fr/pdf/20090729/14631_.pdf>
dans le but de préparer entreprises et administrations à une propagation rapide du virus. A la
lecture de cette circulaire, on remarque vite qu'il n'y est pas
seulement question de santé et de masques. En cas de pandémie grave, ce
sont les conditions de travail des salariés qui risquent d'en prendre un
coup.
Congés maladie, absentéisme ... A cause de la grippe, la France pourrait
tourner au ralenti dans ce que le ministère appelle «/un mode de
fonctionnement dégradé de la société/». D'où une série de
préconisations, à caractère exceptionnel, pour permettre aux employeurs
de jouer sur la flexibilité de leur personnel. «/Il en va de la survie
de l'économie nationale, des entreprises et de la sauvegarde de
l'emploi/» est-il précisé.
«Adapter le travail des salariés»
En cas de passage en phase 5B ou 6 de la pandémie - ce que Roselyne
Bachelot envisage dès septembre - l'employeur pourrait donc «/adapter
l'organisation de son entreprise et le travail des salariés/». Le volume
horaire de travail ou le nombre de tâches à effectuer pourraient, par
exemple, augmenter «/par décision unilatérale de l'employeur/». Et de
préciser entre parenthèses que «/le refus du salarié, sauf s’il est
protégé, constitue une faute pouvant justifier le licenciement/».
S'agissant de modifications plus importantes, tel que l'aménagement du
temps de travail (dérogation à la durée maximale journalière en cas de
surcroit temporaire d'activité, dérogation à la durée maximale
hebdomadaire de 46 heures, etc.), l'employeur serait dans l'obligation
de recevoir une autorisation administrative. La circulaire invite donc
l'administration du travail à «/faire preuve de souplesse et de
réactivité face aux demandes des entreprises/».
«Approximations inquiétantes»
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Selon Michel Henry,
avocat spécialiste du droit social, le code du travail prévoit bien de
telles exceptions. Pour autant, «/la circulaire contient des
approximations inquiétantes/». Inquiétants par exemple les raccourcis
pris en matière d'aménagement du temps de travail. «/Contrairement à ce
que cette circulaire laisse penser, les dépassements sont très encadrés
par le code du travail. A titre d'exemple, l'article 3123-17
<http://legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=C2B43EC7F65D82CE79026984EF1DCA47.tpdjo02v_2?idArticle=LEGIARTI000019356963&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20090724> indique que le nombre d'heures complémentaires accomplies par un salarié à temps
partiel ne peut être supérieur à une certaine durée/».
Inquiétants également les détournements que pourraient générer de telles
mesures. «/Si on impose à une mère de venir plus tôt - car c'est une
nécessité dans la nouvelle organisation de l'entreprise - et qu'elle
refuse car elle doit emmener son enfant à la crèche, c'est un motif de
licenciement. La brèche réside dans cette idée de nécessité justement/».
Reste la question du poids juridique d'une simple circulaire.
Concrètement, elle n'a pas force de loi mais préconise des orientations.
Elle permet aux administrations de «/communiquer avec leurs agents et
les usagers pour exposer les principes d'une politique/
<http://www.legifrance.gouv.fr/html/Guide_legistique_2/137.htm>». Selon
Michel Henry «/elle constitue un cadre donnant les outils juridiques aux
administrations mais n'a pas force obligatoire/». Pour autant, l'impact
d'une circulaire n'est pas à prendre à la légère. «/L'inspection du
travail et les administrations garderont leur libre appréciation, mais
on les invite à faire preuve de souplesse. Or, le droit n'est justement
pas fait pour être souple, ce n'est pas un trampoline !/».
«Circonstances particulières»
Au ministère du travail, la circulaire DGT 2009/16 est décrite comme
«/un phare dans la nuit, un document de référence pour aider les
entreprises à anticiper la pandémie, si pandémie il y a/». A l'évocation
d'un possible malaise chez les salariés, notre interlocuteur - un membre
du cabinet de Xavier Darcos - est surpris. «/Ces mesures se feraient
dans des circonstances très particulières et pour une durée
limitée, /précise-t-il./ Elles seraient mises en œuvre pour limiter
l'impact économique d'une telle pandémie/».
Avec environ 800 cas avérés en France et aucun décès, le qualificatif de
«/circonstances particulières/» est encore loin d'être d'actualité. Au
delà de l'aspect sanitaire, et face aux assouplissements du droit du
travail qu'il pourrait engendrer, le passage en phase 6 évoqué par
Roselyne Bachelot peut faire frémir plus d'un salarié.