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| | La traversée des mots | |
| | Auteur | Message |
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bye Militant
Nombre de messages : 1510 Date d'inscription : 12/10/2008
| Sujet: La traversée des mots Lun 19 Sep - 13:54 | |
| Si nous ne pouvions rien toucher avec les yeux, nous ne pourrions rien nommer de ce que nous voyons. Rien ne porterait de nom, il n'y aurait pas de mots, nous mangerions le monde comme les animaux. Les yeux touchent pour reconnaître ce qu'ils voient intouchable, ils touchent ce qui n'est pas touchable, ils touchent ce qui est trop loin pour être touché avec les mains. Ils touchent sans laisser d'empreintes, comme si leur toucher sur le monde faisait apparaître ce qu'ils voient et que les images dessinaient toujours les contours de nos yeux. Nous voyons mais nous ne voyons que les empreintes transparentes de nos yeux sur le monde, les empreintes intouchées de nos yeux intouchables. Les animaux qui n'ont pas de mains ( comme si avoir des mains c'était déjà pouvoir avoir des yeux qui touchent l'intouchable, comme les mains touchent le touchable ), ne touchent pas, c'est le monde qui les touche et qui s'empreinte de leur passage en lui. Les animaux mangent le monde comme l'homme le voit. Ils écrasent les noms de tout ce qu'ils mangent dans leur bouche. Ils mâchent le monde qu'ils voient. Et suivant ce qu'ils mangent, suivant comment ils mâchent les mots, leur cri les différencie les uns des autres, d'une espèce à l'autre.
Leur cri est ce qu'il reste de ce qu'ils mangent du monde qu'ils voient. Les noms que les animaux ont donnés au monde qui les entoure, au monde dont ils se nourrissent, se traduisent par des cris. Les animaux crient pour dire ce que leurs yeux touchent et que leur bouche mange. Les animaux touchent avec leurs yeux ce qu'ils peuvent toucher avec leur corps, ils touchent là où ils peuvent aller avec lui. Ils touchent avec les yeux ce qui leur est touchable avec les pattes. Mais l'homme touche avec ses yeux ce qu'il ne peut pas toucher avec son corps, il touche là où il ne peut pas aller avec lui. Il touche avec ses yeux ce qui ne lui est pas touchable avec ses mains, comme si ses mains avaient fait naître des distances immenses autour de lui, et qu'elles avaient lancé ses yeux si loin dans l'espace que son corps avec ses pieds seulement n'avait pas pu suivre leur projection infinie. Entre les mains de l'homme et les pattes des animaux, il y a le lointain et le proche, le jour et la nuit, le touchable et l'intouchable.
Jean-Luc Parant Revue l'Atelier Contemporain
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| | | Chien Guevara Admin
Nombre de messages : 9406 Date d'inscription : 10/06/2007
| Sujet: Re: La traversée des mots Mar 20 Sep - 23:12 | |
| Bien vu ! C'est touchant ... | |
| | | TdL Admin
Nombre de messages : 2184 Date d'inscription : 11/06/2007
| | | | Chien Guevara Admin
Nombre de messages : 9406 Date d'inscription : 10/06/2007
| Sujet: Re: La traversée des mots Jeu 22 Sep - 0:34 | |
| Ceci dit, c'est complexe, mais très beau ; et en plus philosophiquement très profond. | |
| | | bye Militant
Nombre de messages : 1510 Date d'inscription : 12/10/2008
| Sujet: Re: La traversée des mots Sam 8 Oct - 12:51 | |
| Il peignait sur l'eau. C'était son invention. Il peignait sur l'eau c'est-à-dire: il ne laissait pas comme des peintre antérieurs de l'eau colorée courir sur le papier. Il ne peignait pas de tableaux à accrocher.Il ne peignait pas de tableaux du tout. Pas jusqu'à ce que son invention on qualifiait de tableau. Il peignait sur l'eau. Sur toutes sortes d'eaux. Sur des flaques d'eau sur des surfaces de lacs sur les plans d'eau de pots emplis. Sur l'eau qui avait débordé autour d'un vase de fleurs. Sue de l'eau de mer. Sur de l'eau de bain. Il peignait sur de l'eau lisse. Il peignait sur de l'eau agitée. sur de l'eau claire et sur de l'eau trouble pleine d'algues et de particules en suspension. D'ombres et de reflets de soleil. même sur de l'eau colorée quand il en avait sous la main. Jamais ( ce que des gens non avertis auraient pu présumer ) sur une autre sorte de liquide. Il fallait que ce fût de l'eau. Parfois il n'était pas satisfait par celle qu'il avait sous la main et il voyageait longtemps jusqu'à ce qu'il trouvât l'eau adéquate. Parfois il se contentait de la première venue. Il pouvait se faire que le plateau d'un bureau inondé de taches l'enchantât. Il pouvait se faire qu'il eût justement besoin de tel lac de montagne entre des pentes couvertes de forêts sombres. parfois il se limitait à peindre de la berge agenouillé dans les galets ou couché sur un embarcadère. Parfois il ramait pendant des heures jusqu'à ce qu'il trouvât l'éclairage adéquat l'isolement adéquat. Pendant un temps il utilisa un ponton dans le milieu duquel on avait découpé une ouverture rectangulaire . Il appliquait pour peindre diverses méthodes. Le plus souvent il avait plusieurs sortes de bâtons. En outre il lui fallait des planches des disques en caoutchouc des brosses des peignes des tue-mouches également des pinceaux. A l'occasion compas et règles. C'est justement celà qui pendant un temps eut pour lui un certain charme. On le voyait disposer dans des roulements de ressac ou sur des surfaces de lacs qui étaient soulevés par des grains orageux des droites proprement tracées et des arcs de cercles largement excentrés. Il peignait avec les doigts et les mains déployées. Avec les pieds voire avec le corps entier. Rrement il peignait avecde la couleur. Alors il égouttait la couleur dans de l'eau courante où il l'y faisait glisser avec des pinceaux et des bâtons. Il versait de la couleur dans de l'eau par pots entiers. Une fois il utilisa un stylo à cartouches. Ses tableaux. Comme on l'a dit ce n'étaient pas des tableaux. Des jeux de courbe vague ombre reflet vague de traces et de traces de traces. Une fois alors qu'il essayait de compléter la peinture à l'eau ( lui non plus ne voulait pas s'arrêter ) per un relief d'ombre il vécut une rechute. Après qu'il eut passé d'ombres simples à des ombres combinées et colorées il se surprit à commencer à photographier le relief d'ombre dans un un de ses stades transitoires. Ce fut la rechute. Conserver fixer transmettre exhiber ce fut la rechute. Ce fut l'en-vain. Après cela il resta un temps inactif. Il voulut possiblement se punir par l'abstinence. Peut-être aussi que quelque chose en lui aspirait du sein de cette rechute à une imagination encore plsu pure. Il est vrai qu'alors ce progrès ne serait pas devenu visible. Mais parès une pause pleine d'apathie apaprente ou effective il se remit à peindre sur l'eau. Seul un observateur très minutieux ( qui n'existait pas ) aurait peut-être pu percevoir en lui de menues modifications. Une légère modification au milieu du trait. Un bondissement plus rapide d'eau en eau. Un suspens dans l'à peine commencé.
Helmut Heissenbüttel - né en 1921, mort en 1996, est l'un des écrivains allemenands les plus représentatifs de ce qu'on appela " la littérature expérimentale ". Le peintre d'eau est extrait de " Textbücher 1-6, recueil de textes rédigés entre 1970 et 1973.
Revue " Rehauts " | |
| | | pierrot Révolutionnaire
Nombre de messages : 2886 Age : 73 Date d'inscription : 30/11/2008
| Sujet: Re: La traversée des mots Sam 8 Oct - 14:48 | |
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| | | bye Militant
Nombre de messages : 1510 Date d'inscription : 12/10/2008
| Sujet: Re: La traversée des mots Sam 8 Oct - 18:21 | |
| c'est magnifique, Pierrot. | |
| | | bye Militant
Nombre de messages : 1510 Date d'inscription : 12/10/2008
| Sujet: Re: La traversée des mots Ven 27 Avr - 4:36 | |
| La chronique de Mank
Le premier jour
Mank s’éveille, se range de côté.
Il ne se reconnaît plus. Ses côtes dans l’entonnoir se sont brisées. Il est devenu terriblement lisse. On le conserve volontiers dans son salon, il se présente sous la forme d’un petit brochet aux dents cassées, une molle œuvre d’art qui saille sans trop saillir. Le salon est décoré de formes polies, de porcs-épics qui se hérissent doucement, de loutres qui se tendent vers leurs convives dans un dernier élan.
Le deuxième jour
Son univers se réduit à cette crampe, cette image de lui agrippant à la nuque une chose. Il ne s’écarte plus de son lit. Frappé par des rêves d’hommes si proches contre lui.
Il se retire de son lit, guette à la fenêtre des passages, la foule. C’est uniquement leurs mouvements, la naissance d’un mouvement qui l’intéresse. De sa main, il escorte le mouvement de la foule et se rassoit.
Le troisième jour
A sa porte, c’est sa famille, une longue famille alignée qui s’impatiente et désire rentrer. Ses proches allongent leur visage, friands de circonstances où traîner leur air grave. Aujourd’hui, à leurs pieds ralentis, on sent comme ils portent avec recueillement leur fils étendu dans sa chambre. Ils ont une cause, une cause en main, elle n’est pas retentissante comme celle d’une guerre ou d’une famine. Leur cause à eux est toute personnelle , ils la doivent à leur unique fils.
Le quatrième jour
Dans sa vie, il tourne autour d’un pouce, d’un pouce placé par mégarde, un pouce impersonnel. Il tourne autour de ce pouce évitant ainsi de tourner autour de lui-même.
Le cinquième jour
Il ne se remue plus, ses pensées seules s’occupent de voyages. Sa peau souvent trop prise par sa pensée se gonfle et par endroits se déchire.
Quelquefois, il part en quête d’un lieu avec conviction. Alors, il presse des villes, des campagnes contre son mur blanc qu’il déforme peu à peu, ajoutant des oreilles, des tumeurs, quelques excroissances.
Le sixième jour
Des êtres aimés abondent dans ses rêves, son sommeil se brise sur leurs mains.
Le septième jour
Ses veines souvent trop compressées culbutent par-dessus la main et entraînent douloureusement le corps qui les a conçues.
Le huitième jour
De force quelqu’un dispose un amoncellement de squelettes dans un des recoins de sa chambre. Le prêtre, la veille, est venu courtoisement lui communiquer qu’il n’a pas de cimetières. Que cette ville ne renferme pas de terre meuble, qu’elle germe dans le béton et que son église fait de même. Pas une cavité molle pour l’enterrement d’un homme, il faut donc les parquer quelque part et l’ayant depuis toujours en amitié, il a pensé à lui.
Chaque jour des fossoyeurs frappent à sa porte charriant des sacs d’où débordent des orteils.
Au départ, il n’y prend pas garde mais, au fil des heures, il n’existe plus de flottement entre lui et eux. Il est contraint de les téter.
Le neuvième jour
Au lieu d’écrire, sa main griffonne des grimaces, son histoire, un brouillon de chair étendu afin de lui conférer un air, une apparence. Après, il essaya ses jambes.
Son père graissa de coups ses rouages. Rapidement, il s’instruisit et adopta la posture la plus droite, au besoin il restait des heures entières accroché à un arbre imitant sa ligne.
Le dixième jour
Sa ville regorge de musées où défilent de ces bouches qui mastiquent selon leur rythme, leur hauteur. Et tous salivent sur leurs mots y laissant macérer leurs lèvres. On voit leur lourde croupe s’y asseoir et somnoler leur vie durant.
Mais Mank, calme, revenu dans son fauteuil ne demande rien tout en tripotant ses jambes. Il redéfinit sa place. Son authenticité pullule encore de trop de mousses, de muqueuses.
Le onzième jour
En ces temps-là, il était très aimé. Ce qu’ils aimaient par-dessus tout, c’était de l’étendre sur une table afin de faire mariner à l’endroit où s’incurvait son ventre les nourritures qu’ils avaient l’habitude de transporter avec eux.
Un jour, l’un d’eux se présente en possession d’une mince commode dans laquelle il entrepose ses outils. Il les dispose un à un sur la table, se tourne vers lui, commence par racler toutes traces extérieures qui semblent trahir son visage. Et puis posant à gauche de son visage une attelle, à l’aide d’un tournevis, il le force d’un quart de tour ramenant tout son nez vers le haut.
Le vingt-huitième jour
Mank se débarrasse du coude. Il l’évide pour qu’il flotte sur une rivière. Il oublie jusqu’à la forme native du coude. Il se permet donc certaines libertés : il remplace la peau par des tissus de livres plus flexibles, tissus d’ongles ou des tissus d’eau.
Le vingt-neuvième jour
Mank a coutume d’épargner ses membres, de les utiliser par trois ou quatre. Et ensemble, ils tirent ce qu’il leur reste de râtelier sur les prairies où ils aiment à voir danser au lieu de l’herbe quelques caries.
Le trentième jour
Mank se tait encore pour brouiller ses contours. Aucune trace, aucune trace. Une gorge toujours emboîtée au désert. Et si le désert existe, ce n’est que par le sillage étroit d’un scorpion.
Le trente-et-unième jour
Pour Mank il existe deux morts. Celle que personne ne peut voir. Ce mort-là, on le tait, un coin de mort sous une table. Puis on cesse de le conduire sous la table, on l’épingle au-dessus de chaque convive. Et de ce mort-là ils font leur gloire. Son histoire épaule la leur, ajoute à leur pâleur de vivant ce qu’ils pressentent comme un trou : leur vie même. Grâce à lui, ils conservent cette lame mouvementée au bord de l’œil qui leur donne une amplitude.
De ces morts tout brûlants de se mordre une dernière fois, c’est de cette mort précise qu’il cherche la compagnie.
Le trente-deuxième jour
Mank sur un quai attend. Il fixe dans son regard deux corps qui attendent sur un quai opposé. Il sent le branle de l’air brouiller leur distance. Aucune main ne s’épanche vers l’autre. Chaque mouvement germe d’un tronc unique entre ces corps pourtant imprégnés du même sol. Et l’espace entre eux impénétrable s’élève en tourbillons de verre. Une corde à peine visible les relie à la taille, leur torse renversé, ils tentent de se défaire ; leurs chevelures empoignées par des paysages contraires.
Le trente-troisième jour
Il ne sait par quel phénomène lorsque Mank songe à ce qu’il pourrait vous dire, là à l’instant, la seule chose qui lui vient à l’esprit, c’est qu’il marche, qu’il marche toujours au début de chaque phrase. Ses pensées croissent sans s’accomplir, puisent le suc d’un terroir puis montent indifférentes vers un autre lieu. Elles ne possèdent que cette tête mouvante du blé, cette longue crinière escortée de vent. Les champs s’élancent alors pareils à des troupeaux affolés que l’œil traque de sa hauteur. Sur l’aileron d’une falaise, l’œil voit se vomir les bêtes sans lieu où paître. Elles redoutent la montagne entière qui se serre à leurs côtes. Une falaise lâche et les moutons à la lisière du troupeau s’affaissent, ces corps se disloquent légèrement dans le vide, si faibles que goutte sur leur peau un sang discret. Sans être au sol encore la chute les éperonne en silence.
Le trente-quatrième jour
Il s’est donné une prestance, il affiche du noir un peu partout. Il bouche l’impudique, il étançonne chaque poil, ses bras penchent à terre. Son habit lui donne cet air uni de ces membres qui soignent leurs jointures.
Le trente-cinquième jour
Mank, malgré lui, ici il écrit et une odeur forte lui étreint les narines. Il aperçoit au loin ses mots qui rament sur une mer de graisse.
Gwenaelle Stubbe
Née en 1972 en Belgique, Gwenaelle Stubbe a déjà vu son œuvre saluée par divers prix littéraires et autres bourses. Théâtre, poésie, peinture sont autant de cordes à son arc.
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