Six ans après , la commémoration des événements de Ceuta et Mellila , au Maroc.
En octobre 2005 , un assaut était donné par les forces de l’ordre marocaines et espagnoles contre le camp informel de réfugiés et migrants de la forêt de Bel Younech , à quelques kilomètres de l’enclave espagnole de Ceuta , dans le nord du Maroc.
En août de cette même année , deux mois plus tôt , nous étions dans la forêt , avec des représentants d’associations des droits de l’homme marocains , dans le but de dialoguer avec les responsables de ce camp , et d’organiser la solidarité. Tout manquait , dans ce village fait de bouts de plastique et de bâches assemblés à la hâte : l’eau , la nourriture , l’hygiène… Des centaines d’hommes , de femmes et même d’enfants venus essentiellement des pays de l’Afrique de l’Ouest , survivaient là dans l’indifférence générale , et dans l’espoir de passer un jour sur le territoire espagnol pour y trouver la sécurité et s’y construire un avenir meilleur.
Pendant des semaines , les autorités marocaines se sont livrées à des opérations de harcèlement , durant lesquelles furent brûlés les maigres biens des occupants du camp , des femmes violées et des hommes tabassés. Enfin , en octobre , une vaste opération de nettoyage était menée , suite à une tentative de passage en masse à Ceuta , qui était elle-même le résultat de l’exaspération produite par la campagne de harcèlement.
Lorsque nous avons rencontré ces migrants et réfugiés , nous avons été frappés par leur maturité , leur détermination , eux qui avaient quitté leur pays pour échapper à des situations de misère , de guerre , d’impasse totale. Ils avaient organisé dans le camp un parlement des communautés présentes , avec des responsables pour les différentes tâches de la survie. Ils parlaient aux militants que nous étions , et aux journalistes présents , avec dignité et calme , de leur situation désespérée.
Et l’opération de « nettoyage » a été déclenchée conjointement par les forces de l’ordre marocaines et espagnoles , véritable opération militaire contre des civils , dans le but de vider ce camp , de repousser ses habitants qui n’avaient commis d’autre crime que de rêver d’une vie meilleure. Traque des réfugiés et migrants , destruction de leurs biens , assauts à l’arme réelle : cette opération s’est soldée par la mort d’au moins dix personnes , tuées par balle , et la déportation , ainsi que la disparition , de plusieurs centaines d’autres dans le désert du sud marocain.
Six ans après ces faits mémorables , qui marquent d’une trace indélébile la « politique migratoire » européenne , où en sommes-nous ? Le Maroc continue de servir de gendarme anti-immigrés pour le compte de l’Europe , et d’abriter des milliers de migrants et réfugiés africains qui rêvent toujours d’une vie meilleure , plus humaine , plus digne. Les routes maritimes de l’émigration ont quelque peu changé , suite au renforcement des contrôles le long des côtes espagnoles , et c’est maintenant l’île de Lampedusa qui est devenue l’objectif premier des bateaux de fortune qui traversent la Méditerranée. Cet été , plus de 1500 personnes sont mortes noyées en essayant de passer. Des milliers d’autres sont arrivées en Europe , où elles ont été accueillies par des pays comme la Grèce , dont les centres de rétention ont été dénoncés pour les traitements inhumains qu’ils réservent aux réfugiés. En France, les migrants font l’objet d’une chasse à l’homme jusque dans les écoles. En Belgique , FEDASIL , l’agence fédérale d’accueil des demandeurs d’asile, connait régulièrement des crises , des candidats réfugiés se retrouvant à la rue en plein hiver , faute de place dans les centres d’accueil.
Voilà plus de vingt ans que la « politique d’asile » , en Belgique et partout en Europe , se résume à prétendre qu’on ferme les frontières , alors que les hommes et les femmes qui fuient des situations invivables continuent d’affluer , avec pour seuls résultats la création de toutes pièces d’un immense espace de clandestinité ; la surexploitation du travail au noir et des marchands de sommeil , à l’intérieur de nos frontières ; la chasse au réfugié , les morts par milliers , le commerce florissant des trafiquants d’êtres humains , à l’extérieur.
En ce mois d’octobre 2011 , six ans après les événements terribles de Ceuta , et alors que les rescapés et les associations démocratiques marocaines s’organisent au Maroc pour qu’on n’oublie pas , il est temps de rompre avec cette politique pourvoyeuse d’injustices , de souffrances et de mort. Il est temps de redéfinir une véritable politique migratoire , loin des tentations fantasmées de l’extrême-droite et du populisme , tenant compte des besoins européens en matière d’emploi et de démographie , ainsi que des droits les plus élémentaires de femmes et d’hommes qui ne cherchent qu’à réaliser leur humanité.
SOS Migrants
Serge Noël , Ali Guissé , Bénédicte Hombergen , Aziz Mkichri.
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