Pourquoi je boycotte le Téléthon alors que je suis myopathe
J’ Log | leplus.nouvelobs.com | vendredi 2 Décembre 2011
vendredi 2 décembre 2011
LE PLUS. Le Téléthon, traditionnel rendez-vous lacrymal et financier, exhibe des enfants paralysés pour nous encourager à financer la recherche contre les myopathies. Problème : le Téléthon préfère investir pour les générations futures plutôt que de financer le confort des patients d’aujourd’hui.
> Par J’ Log Malade Mental
Edité par Gaëlle-Marie Zimmermann
Avant toute chose, il est bon de me présenter afin de vous permettre de mieux comprendre mon point de vue. Comme des milliers de personnes en France, des millions dans le monde, je suis handicapé. Et j’ai une myopathie, enfin quelque chose qui s’y avoisine : je suis un cas particulier, une maladie plus ou moins orpheline (seul cas répertorié en France, soit le seul sur 60 millions, pas besoin d’avoir un style à la con pour me sentir unique, mes gênes le sont pour moi).
C’est une maladie de la troisième couche de collagène (en gros je résume, je n’ai pas le nom de la couche exacte) empêchant la formation des muscles du corps et ajoutant à cela divers handicaps comme articulations bloquées, problème au niveau du cœur et des poumons (symptômes typiques des myopathies). Elle fait partie des dystrophies musculaires congénitales.
Bref, étant atteint d’une maladie dégénérative, comme beaucoup de myopathies, je suis né presque pas malade pour voir mon cas s’aggraver jusqu’à que ça s’arrête complètement à l’âge de 8 ans.
Je marche, cours, rigole, porte des poids, je me fais 1h de RER tout les jours, bref j’ai de la chance dans la malchance : je suis autonome et vis actuellement seul, et je me prépare à devenir un expatrié (je vais vous expliquer mon point de vue sur le Téléthon, j’y viens).
Comme beaucoup de malades, j’ai eu besoin de soins réguliers, et d’interventions chirurgicales relativement lourdes jusqu’à l’âge de 18 ans, mais rien d’insurmontable : la preuve, je suis là.
J’ai également eu besoin d’un suivi médical relativement pointu durant mon adolescence : mes parents ont donc décidé de m’inscrire au lycée Toulouse-Lautrec à Vaucresson, établissement accueillant personnes valides et handicapées, avec un service médical à la pointe (kinésithérapeutes, médecins, service de radiologie en cas de besoin) bref la totale : de quoi s’occuper de nous comme il se doit.
Une image biaisée du quotidien avec l’handicap ?
Venons en au sujet principal : le Téléthon. En soi, je n’ai rien contre cet évènement, donc le but est louable. Hélas, selon moi les organisateurs oublient l’essentiel, à savoir les malades actuels.
Je ne peux nier que comme beaucoup, j’espère un remède à cette maladie… Tout comme au SIDA et au cancer, mais à celle-là tout particulièrement. Quoi qu’il en soit, leur démarche me paraît mauvaise, car le Téléthon montre une image biaisée de la vie quotidienne avec un handicapés.
Les organisateurs venaient dans notre lycée chercher des personnes handicapées qu’ils pourraient présenter à la télévision, un peu comme un casting. Et leur choix se portait souvent sur ceux qui étaient les plus susceptibles d’apitoyer le téléspectateur pour qu’il donne de l’argent. Ils ne sélectionnaient pas ceux qui montraient une vraie joie de vivre et seraient capable de balancer une plaisanterie énorme à la télévision.
Car au final, dans ce lycée il y a de tout : des jeunes qui parlent n’importe comment, lançant diverses insultes toutes les dix secondes, des jeunes qui boivent en cachette, fument et j’en passe, bref ils font ce que font tous les adolescents. Et si vous passiez une après-midi avec eux, vous seriez surpris : ces jeunes se charrient comme n’importe quel autre bande de jeunes le ferait, et ils le font sans se gêner, entre valides, entre personnes handicapées, mais également entre valides et handicapés : et pas de limites, le handicap lui-même peut être moqué, car se moquer du handicap, c’est le banaliser, le dédramatiser, et le rendre aussi accessoire que la couleur d’un t-shirt.
Le film "Intouchables" est sorti récemment au cinéma, montrant un aspect encore bien trop politiquement correct. Mon meilleur ami a la myopathie de Duchennes, myopathie relativement lourde, où le malade ne peut que très peu bouger.
Et pourtant, quand je le charriais à coups de vannes du style "pas de bras, pas de chocolat", je me prenais un coup de cale-pied bien placé dans les chevilles, ce qui fait très très mal… Et parfois, il me roulait volontairement dessus afin de me faire comprendre son mécontentement : nous étions donc tous au même niveau, et nous vivions tous ensemble : au final, le handicap c’est ça.
La recherche c’est bien, mais on fait quoi des malades actuels ?
Ma seconde critique envers le Téléthon est plus matérielle si je puis dire : il y a des milliers de myopathes en France, et un fauteuil électrique, par exemple, c’est hors de prix.
Quant aux adaptations nécessaires dans une maison, pour la rendre accessible à une personne handicapée, elles ne sont pas toutes remboursées à 100%.
Et je ne parle pas des personnes handicapées qui passent leurs vacances et week-end à l’hôpital car ils ne peuvent pas rentrer chez eux : ils n’ont pas d’appartement au rez de chaussée, pas de maisons sans marches ou pas de portes suffisamment grandes pour laisser passer le fauteuil… Car oui, à la différence de ce qu’on nous montre dans le film "Intouchables", tous les handicapés ne sont pas milliardaires.
Du coup, ça devient un peu plus dur le quotidien. Le Téléthon collecte en moyenne 90 millions d’euros chaque année, et la grande majorité va à la recherche. Alors oui, la recherche ça a du bon, mais combien de myopathes meurent chaque années attendant ce remède, combien ne seront plus là pour en profiter ?
Alors au lieu d’améliorer les lendemain de ceux qui y parviendront vivants (car le remède, ce n’est pas pour tout de suite), pourquoi ne pas améliorer le quotidien de ceux qui souffrent aujourd’hui ?
Bien sûr, il y a la prime handicapé, qui devait s’élever au SMIC (Monsieur le President, c’était dans vos "promesses"), mais elle est toujours à 785 € par mois. Et hélas, on ne vit pas avec cette somme d’argent.
Sachant que quand on touche plus que le SMIC on ne touche plus la prime, au final la personne handicapée (qui a plus de frais qu’une personne "valide") se retrouve avec un peu plus de 1 100€ par mois. Bon courage avec ça.
Je souhaiterais donc que le téléthon débourse un peu de ces sommes faramineuses qu’il amasse chaque année, afin de partager avec les principaux intéressés : les malades. Et si Monsieur le Téléthon pouvait également montrer une nouvelle image de la myopathie, ce serait mieux que ce qu’on voit chaque année, et qui ne représente qu’une infime partie des malades.