La nouvelle venait de tomber. La ministre de la justice, Rachida Dati, demandait au parquet de faire appel du jugement rendu en avril par un tribunal civil de Lille annulant un mariage entre deux musulmans au motif que l'épouse avait menti, avant la cérémonie, en se disant vierge. Le débat mené par Yves Calvi, lundi 2 juin, avec ses invités de "Mots croisés", sur France 2, n'en était que plus passionnant.
Assez habilement, Yves Calvi donnait d'abord la parole à celui qui avait la rude tache de défendre la décision prise à Lille. Emmanuel Pierrat, jeune et brillant juriste, expliquait avec force et conviction que le tribunal de Lille n'avait fait qu'appliquer la loi telle qu'elle existe.
On rappelle les faits. Un ingénieur d'une trentaine d'années, converti à l'islam, découvre le soir de sa nuit de noces, le 8 juillet 2006, que sa femme, musulmane elle aussi, de dix ans plus jeune que lui, n'est pas vierge, contrairement à ce qu'elle lui avait dit. Il décide aussitôt de faire annuler le mariage au prétexte que la jeune femme lui a menti sur une "qualité essentielle" qu'elle était censée posséder.
Cette dernière, apparemment contrite et surtout décidée à en finir, reconnaît qu'elle a menti. Le tribunal civil, présidé par une juge expérimentée et qui n'a de leçon à recevoir de personne en matière de laïcité, décide d'annuler le mariage pour cette seule raison. La loi a été respectée, affirme Emmanuel Pierrat.
Et, surtout, cette décision permet à la jeune femme de ne pas rester mariée avec cet énergumène.
Que va-t-il se passer, en effet, dès lors que le parquet fait appel ? Il est probable que le tribunal, en raison de l'émotion soulevée par cette affaire, et surtout devant l'attitude de la chancellerie, ira dans le sens souhaité désormais par la garde des sceaux, qui a effectué un spectaculaire virage à 180 degrés.
Selon toute vraisemblance, l'annulation sera à son tour annulée, et cette jeune femme va donc se retrouver mariée avec un homme qui l'a humiliée en public, devant sa famille et ses amis, et dont elle ne veut apparemment plus entendre parler. Est-ce vraiment cela que l'on souhaite ? demandait le juriste.
Trois femmes étaient heureusement sur le plateau pour lui donner la réplique. Caroline Fourest, journaliste à Charlie Hebdo, Nadia Khouri-Dagher, anthropologue, et Safia Lebdi, présidente de l'association Les Insoumises ne contestaient pas l'argumentation juridique. Elles disaient simplement, chacune à sa façon, que le jugement rendu à Lille était un mauvais message envoyé au mauvais moment dans les cités. Sur la longue durée, les filles françaises musulmanes tendent à s'émanciper. Il ne faut surtout pas flatter la régression actuelle vers la tradition la plus réactionnaire.
Dominique Dhombres