De l'eau minérale pour chatNon ! Si !… Ce n'est pas un gag. Vous lisez ce billet et vous êtes assis ? Installez-vous par terre, vous ne tomberez pas plus bas.
Donc… de l'eau pour chat… c'est possible. En vente chez Animalis, la boisson a été lancée au début de l'année par la société Special Waters. On remarque que l'étiquette se garde d'appeler cette eau «minérale», ce qualificatif étant très encadré par la législation et surveillé par la Répression des fraudes. L'allégation est eau «rafraîchissante» pour chats (dans un sens, il vaut mieux ça qu'une eau «asséchante»).
C'est une «boisson quotidienne» aux «propriétés minérales équilibrées», insiste le fabricant. A 0,95 euro les 50 cl, elle contient «des extraits de thé vert» («décaféiné», précise le même), «de la vitamine C», «des fibres solubles de blé» et «un polyol, diurétique naturel et reconnu pour améliorer la miction».
On notera que ça s'appelle Water Cat et non pas, comme on s'y attendrait, Cat Water. En anglais, crois-je (détrompez-moi si je me gourre), dans ce type de double expression, le premier terme qualifie le second. Ainsi Water Cat pourrait se traduire par «chat à eau». Pour signifier «eau pour chat», il eut fallu baptiser le breuvage Cat Water, mais ça aurait eu tout de suite un relent de WC en français. C'est que la société Special Waters n'a rien de british. Basée en Alsace, elle est française. Or, s'agissant de pet food comme on dit, les Anglo-Saxons ont une longueur d'avance, et une telle dénomination permet donc de rêver au marché britannique.
Vous vous pincez, vous levez les yeux au ciel, vous criez au scandale ? Tout comme moi. Et puis je me suis calmée. Finalement, cette innovation est des plus éclairantes. Elle permet de mettre en lumière notre faculté d'accoutumance en matière de consommation.
Petit flash-back pour expliquer : quand j'était petite, dans les années 60, mon grand-père, campagnard, touillait dans une marmite idoine la pâtée pour les chiens. Les chats, eux, n'avaient droit qu'à nos reliefs.
Devenue adulte et indépendante, j'ai acquis un chat dans un refuge, en me promettant de le nourrir avec mes restes. Acheter à manger pour un animal, quel gâchis, quelle confusion des espèces, pas question… De temps en temps, je mendiais du mou auprès du boucher. Et puis, assez vite, j'ai acheté par-ci par-là une boîte de Ronron (quasiment la seule marque alors sur le marché). Eh oui, c'était plus commode, vu que je ne becquetais pas tous les jours chez moi.
A l'arrivée des boîtes Sheba avec leurs mini-portions, leurs recettes de luxe et leur maxi-prix, j'ai ouvert des yeux ronds. Une folie ! Pourtant, à l'occasion d'un Noël, j'ai craqué, évidemment pour rigoler (c'est ce qu'on dit dans ces cas-là), j'ai craqué et j'ai raqué.
Puis sont apparues les croquettes, guère recommandées alors par les vétos: une nourriture trop sèche, esquintant les reins félins et favorisant l'urée. A bannir (1). Cinq ans plus tard, j'étais passée aux croquettes: plus pratique, moins schlinguant dans le frigo.
Il y a dix ans, j'ai ricané, estomaquée, à l'arrivée des croquettes light, d'origine anglo-saxonne. Qu'est-ce qu'on n'avait pas inventé ? Le comble de l'anthropomorphisme… Voilà deux ans, non sans une once de honte, je me suis risquée à en acquérir un paquet malgré le prix (deux fois la culbute). Ah, mais avec de bonnes raisons : un de mes deux chats s'empâtait, en appartement, ça manque d'exercice, ces petites bêtes. Aujourd'hui, une fois sur deux, je prends des croquettes light ou senior (oui, ça existe aussi).
Preuve que l'accoutumance gagne vite, que le seuil de tolérance recule fissa, que la honte cède sans vergogne.
Alors ce Water Cat ? Promis, juré, jamais de la vie. Fontaine, je ne boirai jamais de ton eau…
(• Marie-Dominique Arrighi • )
(1) Le plus drôle (je me comprends), c'est que Special Waters vante son Water Cat comme un remède aux croquettes. Et la boucle est bouclée…