"Si un oiseau savait dire ce qu'il chante, pourquoi il chante et comment il chante, il ne chanterait plus." Voilà un quart de siècle que le prix Louis-Hachette pour la presse écrite distingue chaque année quatre journalistes, lesquels, prolongeant le mot de Paul Valéry, chantent et enchantent les papivores.
Les lauréats 2008 - Gilles Biassette, de La Croix, Anna Miquel, de la revue XXI, Bertrand de Saint-Vincent, du Figaro et Marion Van Renterghem, du Monde - ont d'autant plus de mérite d'exercer encore leur métier d'information critique sur le papier que sa disparition est annoncée de tous côtés.
Marcel Gauchet peut toujours dire et répéter que "l'objet imprimé autorise un commerce avec l'écrit que l'écran ne permet pas", on ne veut pas l'entendre. Contre lui, les militants d'Internet über alles préfèrent considérer que la dématérialisation de la lecture doit changer la galaxie Gutenberg ; à la façon dont l'imprimerie avait ringardisé les enluminures des moines copistes.
Le journal va donc mourir... Un peu avant ou en même temps que le livre, désacralisé par des machines plus performantes qu'effrayantes dont la vitesse et la souplesse d'utilisation séduisent les jeunes.
Mais faut-il tonner contre ou rappeler que la télévision n'a pas eu raison de la radio, ni la radio des journaux ? Lesquels nourrissent à l'envi chroniques et éditoriaux du paysage audiovisuel. Le journal parlé est écrit. Bien ou mal, mais écrit, comme le sont aussi les journaux télévisés de nos débuts de soirée. Derrière le prompteur du présentateur, il y a un scripteur qui entrecroise les images et les mots. Quand il écrit bien, la grand-messe est belle et fluide. Quand il écrit mal... malheur à tous.
C'est dire si Didier Quillot, président du directoire de Lagardère Active, avait donc raison de dire, en saluant les lauréats du prix Louis-Hachette, que la presse écrite nourrissait tous les autres supports, Internet compris. "C'est elle, précisait-il, qui donne confiance par ses informations vérifiées, la mise en perspective des événements, la valeur ajoutée de la qualité de l'écriture et la créativité éditoriale."
Voilà pourquoi, dans un paysage médiatique bousculé par toutes les crises du moment, la presse écrite, vieille fille de 400 ans, n'est pas muette, et touche encore le coeur de ses lecteurs. Il faudra toujours des plumes de talent pour mordre le papier et apporter aux citoyens-lecteurs exigeants ce qu'Hubert Beuve-Méry appelait "l'information précise, honnête et vérifiée".
Roland Barthes y aurait ajouté "Le plaisir du texte", ce plaisir qui peut être "un acte léger, complexe, ténu, presque étourdi : mouvement brusque de la tête, tel celui d'un oiseau qui n'entend rien de ce que nous écoutons, qui écoute ce que nous n'entendons pas".
Encore l'oiseau, chanteur et enchanteur des vieux journaux de papier, qui peut continuer de voler et rapporter dans sa vérité nue son reportage-message. Aujourd'hui, les oiseleurs et leurs pièges se sont établis ailleurs. Sur des rivages inconnus où des marchands anonymes préparent à la liberté de la presse des cages aussi modernes qu'imprévues.
Ivan Levaï (Le Monde)