La loi de la jungle, une course au bonheur ?Avec France Inter, la chronique de Bernard Maris, journaliste et
écrivain. La crise économique n'aura rien changé, pire, elle aura
empiré notre système dans lequel l'égoïsme est roi, un roi absolu dont la lumière nous aveugle, invariablement. La crise nous rend-elle gentils ou méchants ? A propos des conséquences de la crise économique... Quels seront ses
conséquences idéologiques ? La Guerre de 14 avait engendré le
pacifisme, le plus jamais ça, la der des der... Ca n’avait pas empêché
Hitler, hélas. La crise donnera-t-elle enfin la parole aux idéologies
douces ? A l’altruisme, la compassion, la gentillesse, le bénévolat,
l’amour des autres que sais-je ? A la décroissance ? Rappelons que
l’idéologie du marché est fondée sur l’égoïsme, la lutte de tous contre
tous, l’intérêt personnel, la lutte pour soi-même et le refus d’aider
de coopérer avec autrui. Chacun pour soi et le dieu du marché pour
tous. Homo homini lupus, l’homme est un loup pour l’homme (ce qui
prouve que les hommes connaissent bien mal cet animal adorable qu’est
le loup, mais bon…) Thomas Hobbes dans son Leviathan de 1651, a posé les fondements de la société égoïste et individualiste du marché et
fait de l’existence humaine une guerre de tous contre tous...
Elle est tellement rentrée dans les moeurs que si vous êtes charitable et gentil, vous êtes tout simplement ridicule.
La personne admirable c’est ce trader qui fait de l’argent, pour lui,
vite, afin de le gaspiller au nez et à la barbe de tous dans des
voitures somptuaires, ce banquier qui rafle une mise, ce salaire
mirobolant qu’on vous présente comme une preuve de supériorité humaine et généralement mâle. Car la société égoïste est une société de durs, de machos, de gens qui savent lutter. L’altruisme est le fait des pleutres, des trouillards, de mollassons qui n’osent pas tailler dans
le gras des effectifs. Quel homme que le boucher Nivelle ! Ah ! lui, il
n’avait pas peur ! Quel patron que le « cost-killer » Goshn ! Comment
voulez-vous faire cracher de la productivité si vous ne stimulez pas la
lutte de tous contre tous ?
Et au bout de cette loi de la jungle le bonheur. Des tas de marchandises que vous n’aurez jamais le temps de consommer ! Des tas de déchets que vous n’aurez jamais le temps d’enfouir ! Une vie trépidante passée à vous méfier de tout le monde, le harcèlement au travail, l’ascension sociale au prix du stress et de la brutalité, que de virilité dans votre vie ! Une publicité qui pollue vos yeux et vos oreilles, à un point tel que ça frise la torture (je pense à la
publicité faite par une certaine mutuelle d’assurances). Bref, que de
bonheur dans la méchanceté et la détestation d’autrui ! Par pitié :
restez égoïstes et cupides, ça crée des emplois, et tant pis si l’on
licencie pour en créer. Au fond, notre société a peur de la douceur.
Car qui dit douceur, dit douceur de vivre. Nous ne sommes pas préparés
à ça.
Bernard Maris !!