Le monde comme on l’a rarement vu
Par Olivier FalhunSur une carte classique de représentation du monde (ce qu’on appelle
savamment la projection de Mercator), le Groenland et l’Europe
paraissent plus grands que l’Amérique du Sud. En réalité, ils sont
respectivement neuf et deux fois plus petits. La projection de Peters
reproduite ci-dessous a le mérite de mieux respecter les superficies,
mais la planète vue sous cet angle fait de l’Europe un confetti.
Politiquement c’est agaçant, mais on pourra toujours se rabattre sur
l’idée d’être encore au centre de la carte, et en haut s’il vous plaît.
Quand on représente le monde à plat, on s’expose
néanmoins à sacrifier une donnée pour en respecter une autre. Les
concepteurs du site Worldmapper sont allés plus loin. A partir de la
projection de Peters, ils proposent depuis quelques années un large
éventail de cartes indexant l’importance des régions du globe en
fonction d’un phénomène particulier. On appelle cela la cartographie par
anamorphose, un joli nom pour montrer la réalité d’un monde qui l’est
moins.Ici, la géographie de la planète cède la place aux
habitants qui y vivent. On supprime la pudeur de l’uniforme imposé pour
exposer la planète dans ses difformités. Certes, les données sur
lesquelles les universitaires américains de Worldmapper se sont appuyés
datent de quelques années, mais le résultat est souvent saisissant,
impressionnant. A titre d’exemple, la carte proposée ci-dessous
représente le poids d’un pays en fonction de ses dépenses de santé
publiques en 2003.
On
notera qu’apparemment les Français sont des grands malades, mais ils
consacrent aussi beaucoup d’efforts pour mettre au point des nouveaux
médicaments. Worldmapper nous propose en effet quasiment la même carte
pour illustrer les dépenses de recherche et développement. Rien
d’étonnant à ce que les laboratoires de recherche pharmaceutiques soient
situés au nord : c’est là qu’est le marché. De là à considérer que la
recherche ne s’intéresse qu’aux pathologies d’en haut, il n’y a qu’un
pas qu’on se refuse à franchir, quoique…Puisque que nous
approchons de la journée mondiale du paludisme, voici le monde
représenté en fonction de la mortalité liée à cette maladie. Les données
datent de 2003, et si plusieurs articles témoignent récemment de
progrès réalisés pour lutter contre ce fléau, on peut néanmoins douter
de l’opportunité de sabrer le champagne.
Qu’il
s’agisse du sida, de la tuberculose ou du choléra, les cartes développées par Worldmapper se
ressemblent étrangement. L’Afrique et parfois l’Asie prennent ici toute
la place. On l’a dit. Pas de quoi faire sauter les bouchons, à moins de
noyer son chagrin dans l’alcool. Ca tombe bien. Worldmapper nous offre
un petit dernier pour la route : le monde en fonction des populations portées sur la
bouteille. Au bar du coin, d’un coup l’Europe retrouve son
embonpoint.
© Copyright 2006 SASI Group (University of Sheffield)
and Mark Newman (University of Michigan)