« Tous au Larzac » un film de Christian Rouaud.
vendredi 9 décembre 2011
Critique | 23 novembre 2011
« Tous au Larzac », Causse toujours
Par LAURE NOUALHAT
Loin du folklore alter, un docu retrace dix ans de lutte paysanne.
« Gardarem Lo Larzac » (Nous garderons le Larzac). - DR
« Face à la montée des fascismes économiques, politiques, religieux, face au progrès technique incontrôlé, celui qui nous fait accepter n’importe quoi pour assurer notre profit, notre bien-être, que faire ? » Cette phrase n’a pas été prononcée la semaine dernière dans un meeting de Mélenchon, mais en 1974, lors du rassemblement gigantesque qui eut lieu sur le plateau du Larzac. La question qu’elle pose a 37 ans et résonne tristement dans notre époque indignée. Celui qui l’a prononcée, Philippe Fauchaut, est un modeste paysan du Larzac en lutte contre l’extension d’un terrain militaire. Une lutte inspirée et triomphante qui dura presque dix ans, et qui constitue le sujet du documentaire de Christian Rouaud, Tous au Larzac.
Goguenarde. En pleine indignation générale et globalisée, voilà un film qui met du baume au cœur. Un documentaire enthousiaste, tout sauf naïf, qui fleure bon les archives et la France de Valéry Giscard d’Estaing. Durant deux heures, Rouaud déroule consciencieusement la chronologie de la lutte, sans omettre aucune étape. Le Larzac, ce n’est pas qu’un paysage magnifique couvert de cultures et de troupeaux, c’est aussi un terrain militaire où s’exerce l’armée. En 1971, la Grande Muette, emmenée par Michel Debré, décide d’étendre ses installations et d’annexer 14 000 hectares supplémentaires. Or, cette extension concerne 107 familles, principalement des paysans qui exploitent cette terre.
Les protagonistes de l’histoire - le couple Burguière, Marizette Tarlier, Léon Maillé, José Bové et bien d’autres - défilent devant la caméra de Christian Rouaud, nous communiquant un peu du souffle qui les tint en haleine durant une décennie. Le réalisateur entrelace archives et témoignages vivants de ces acteurs involontaires, transformant ainsi son film en chronique haletante. Avec ses images léchées d’une nature belle et sauvage, il nous emmène courir sur le Larzac d’aujourd’hui. Le blé verdoyant ondule sous le vent, on devine, derrière les pierres sèches des fermes et des bergeries, un foyer, une chaleur, de même que l’on sent, derrière cette terre, l’amour inconsidéré que lui portent des générations d’hommes pour lesquels partir a un goût d’exil improbable.
Sans le vouloir, le plateau devient l’attraction politique des années 70. Dès 1972, la lutte cristallise d’autres mouvements : les non-violents menés par le charismatique Lanza del Vasto, fondateur de la communauté de l’Arche. Les maos débarquent aussi, prêts à plastiquer les installations de l’armée pour soutenir les paysans, lesquels plaident plutôt l’union et la non-violence goguenarde : en décembre 1972, alors que le projet d’extension vient d’être déclaré d’utilité publique, ils montent avec leurs brebis à Paris, les faisant paître sur le Champs de Mars, sous la tour Eiffel. L’image est trop belle et figure en une de tous les journaux.
Ah, le salutaire recours aux médias : la lutte prend son envol au niveau national et, partout, des comités de soutien se créent. Les paysans ont gagné le premier round de la médiatisation. « Nous n’étions qu’en 1972 ! » s’exclame Pierre Burguière, un des piliers du mouvement, certifié paysan du Larzac depuis des générations. Heureux militants ! Ils ne savent pas, à ce moment-là, que leur combat ne fait que commencer.
Unité. Jamais à cours d’idées ou de détermination, ils testent tout l’arsenal de la lutte non violente : jeûne de protestation, marches vers Orléans ou Paris, manifestations joyeuses, avec ou sans tracteurs, occupations de bâtiments, construction de bergeries avec l’aide de hippies malhabiles mais pleins de bonne volonté… Après les élections de 1974, le plateau accueille 70 000 personnes durant l’été. Mitterrand, candidat défait, se fait huer… Pour faire dégénérer le rassemblement, des policiers en civil balancent des pierres dans sa direction. En vain.
Dans leur génie contestataire, les paysans se promettent une seule chose : faire front commun, rester unis et ne jamais céder aux sirènes des propositions financières indécentes faites en catimini par l’armée. « S’il y avait eu des négociations au début, je pense qu’on y serait allés, chacun dans notre coin », précise Pierre Burguière. « Mais chaque année, ces négociations devenaient impossibles. Nous étions devenus une communauté. » C’est la clé de cette victoire : l’unité. Que les protagonistes conserveront jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’élection de Mitterrand, en mai 1981… « Nous nous devons mutuellement la victoire », aurait-il déclaré aux meneurs de la lutte lors d’une visite officielle à Rodez.
Dans toutes les salles où il a été projeté - une centaine en quelques semaines -, le film « redonne de l’espoir »,« revigore » les gens. Des Indignés au collectif Jeudi noir, nombreux sont les militants d’aujourd’hui à se lancer dans des actions non-violentes, humoristiques, de longue haleine… La victoire authentique du combat du Larzac pourrait les doper. Mais qu’on ne s’y trompe pas, Tous au Larzac n’est pas une invitation à l’optimisme béat. Notre époque cumule tant de combats, sur des fronts si divers, qu’un seul plateau n’y suffirait pas pour les accueillir tous.
Tous au Larzac documentaire de Christian Rouaud 1 h 58.
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21/11/2011
Le Larzac vu par .... Bertrand Tavernier
En exclusivité aujourd’hui, découvrez un texte de Bertrand Tavernier sur TOUS AU LARZAC :
"Il y a d’abord tous ces visages qui crèvent l’écran. Ces visages dont la caméra, on le sent si bien, tombe immédiatement amoureuse, qu’elle n’a pas envie de lâcher tant ils impressionnent la pellicule, les visages de Léon Maillé, Marizette Tarlier, Michel Courtin, Christian Roqueirol, José Bové et pardon pour ceux que je ne cite pas.
Ces visages et ces voix. Chaudes, prenantes, qui savent raconter, qui semblent avoir assimilé, le poids, l’importance, la beauté des mots et qui vivent avec comme on vit à coté d’un arbre, d’une prairie, sous un ciel d’orage. Leur langue est drue, cocasse, chaleureuse, émouvante et fait paraître d’autant plus sec, plus racorni, plus pauvre le vocabulaire des politiques (qu’on entend d’ailleurs trop peu). "Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l’accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l’apparence de la solidarité à un simple courant d’air" écrivait Georges Orwell. On peut penser que quelqu’un de décent comme Giscard D’Estaing s’est fait battre en 1981 à cause de son incapacité à écouter, à comprendre cette langue et la réalité qu’elle traduisait.
C’est qu’on entend ici le langage des gens qui sont sur le terrain, de ceux qui mettent les mains dans le cambouis. La langue des poilus de la guerre de 14/18, si déchirante, si concrète, ceux des appelés de la guerre d’Algérie, ces paysans, ces ouvriers, que j’ai filmé avec Patrick Rotman dans la GUERRE SANS NOM. Une langue qui se méfie des slogans, qui n’a pas envie d’être embrigadée.
A de nombreuses reprises, je me suis dit que Christian Rouaud avait du avoir drôlement du mal à dire « Coupez », à arrêter sa caméra. On le sent si à l’écoute de tous ses personnages, si à l’aise avec eux et si respectueux de leurs émotions, de leurs peines, de leurs joies. J’étais embarqué, je pouvais rester trois, quatre heures de plus pour partager plus longuement leurs espoirs et leurs désillusions, leur ténacité et leur extrême malignité : cette manière de faire tourner en bourrique l’adversaire, de le surprendre, d’avoir un coup d’avance sur lui réjouira tous les amateurs de l’Oiseau Mimi, le Roadrunner dans ses combats incessants contre le Vil Coyote. Ah le récit sur les déboires des gardes mobiles avec les brebis sur le Champ de Mars…
Et c’est vrai aussi que cette chronique de solidarité épique peut enchanter les amoureux du western. Tous les ingrédients sont au rendez vous : ces extraordinaires paysages, ces escarpements, ces ciels qui dévorent l’horizon ( lequel n’est jamais au centre de l’image comme le réclamait John Ford à ses chefs operateurs), ces arbres magnifiques, ces maisons isolées dans lesquelles on se barricade et qu’on défend coute que coute. Ces éleveurs qu’on veut chasser de leurs terres comme ces fermiers expropriés par des compagnies de chemin de fer. Dont on clôture les terres comme dans l’HOMME QUI N’A PAS D’ÉTOILE. Ou qui luttent contre le « progrès », les autoroutes et les camions comme dans SEULS SONT LES INDOMPTÉS (comme par hasard écrit par un scénariste progressiste et de gauche : Dalton Trumbo)
Ils ne courent pas les rues les films qui réchauffent autant le cœur des pauvres hommes, qui regardent le passé, constatent qu’il n’est pas mort, loin de là. Qu’il n’est même pas encore passé.. « Qui comprend le nouveau en réchauffant l’ancien peut devenir un maître », disait Confucius."
Bertrand Tavernier
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=Ktq8o7QM74Y