C'était le 30 juin 2008. Nicolas Sarkozy était l'invité du “19/20”, sur France 3. Juste avant l'antenne, le président s'était exprimé très librement sur le plateau, tutoyant ses interlocuteurs et donnant des leçons de politesse. Quelques minutes filmées et diffusées sur le site Rue89, provoquant le dépôt d'une plainte de la part de France 3. En avril, deux journalistes de la chaîne publique et deux de Rue89 étaient convoqués par la PJ. Hier, une des journalistes de France 3 était à nouveau entendue.
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“Libérez nos camarades” de France 3 et Rue89 ! | 2 avril 2009
On prend les mêmes, et on recommence. Après le journaliste de France 3, Joseph Tual, reconvoqué le 2 juillet dernier par la brigade de répression de la délinquance contre la personne, sa consœur Carine Azzopardi a elle aussi été entendue une seconde fois au siège de la police judiciaire ce matin, dans l’affaire de la diffusion sur le site Rue89 de propos off tenus par Nicolas Sarkozy sur le plateau de France 3, le 30 juin 2008.
Une manie qui commence à ressembler à de l’acharnement : en avril dernier, déjà, les deux reporters de France 3, ainsi que deux journalistes du site Rue89 (Augustin Scalbert et Pierre Haski), avaient été interrogés suite à la plainte contre X déposée par la chaîne publique le 8 juillet 2008 pour « vol, recel et contrefaçon ». Après être ressortis libres, les journalistes auditionnés avaient dénoncé des pressions exercées par le pouvoir, une atteinte à la protection des sources, ainsi que les manœuvres indignes d’une chaîne qui «décide de livrer en pâture ses salariés». En transmettant à la police les images de vidéosurveillance prises en interne, France 3 avait en effet indirectement contribué à ce que Carine Azzopardi et Joseph Tual soient mis en cause. Et suscité l'indignation d’une bonne partie des employés de France Télévisions.
“Derrière tout ça, le pouvoir envoie un signal fort,
témoigne de sa volonté de reprendre la main
sur la télévision et de nous asservir.”
Aujourd'hui, à l’appel de la CGT-SNJ, une trentaine de salariés (en majorité des membres de France 3) sont venus, une fois de plus, témoigner de leur énervement. « Nous commençons à être sérieusement lassés. Si Carolis pense qu’en dénonçant ses équipes, il va s’attirer les bonnes grâces du pouvoir, il se trompe », a déclaré Philippe Jarry, responsable SNJ-CGT. « Apparemment, le substitut du procureur veut absolument un coupable au sein de France Télévisions. J’imagine que tout ça se soldera par un non-lieu judiciaire, mais cette histoire permettra au groupe de lancer des sanctions en interne, et de virer des gens, s'est agacé un grand reporter de France 3. Et derrière tout ça, le pouvoir envoie un signal fort, témoigne de sa volonté de reprendre la main sur la télévision et de nous asservir. »
Ce jour-là n’est pas encore arrivé. Car pour l’heure, les preuves tangibles de la responsabilité des personnes incriminées paraissent à peu près aussi nombreuses que les pingouins dans le désert d’Atacama. Lors de son audition, Carine Azzopardi a été confrontée à un technicien de France 3 qui, après avoir prétendu la reconnaître sur des images de vidéosurveillance, s’est finalement rétracté. Ironiquement, le même scénario s’était déjà produit, lors de l’audition de Tual: « J’ai été confronté au même technicien, qui, après m’avoir dénoncé, m’a fait des excuses. Il a reconnu dans un procès verbal qu’il ne m’avait pas vu ce soir-là », a expliqué le journaliste.
Entre 1998 et 2009, le nombre de caméras
de vidéosurveillance à France 3
serait passé de 68 à 261.
Toute brumeuse qu’elle soit pour l’instant, l’affaire aura eu au moins un intérêt : celui de faire rebondir le débat sur ce que les salariés appellent « le flicage en interne ». Après les premières convocations d’avril, un élu du comité d’entreprise, Claude Gueneau, a en effet déposé en son nom personnel une plainte auprès de la Commission informatique et libertés (Cnil) au sujet du dispositif de vidéosurveillance. Un dispositif devenu ces dernières années maousse costaud : entre 1998 et 2009, le nombre de ces caméras serait passé, selon l’élu, de 68 à 261... Dans sa plainte, Gueneau déplore le fait que « certaines de ces caméras [soient] situées dans les locaux où travaillent des journalistes, sans que ceux-ci ne sachent l’usage qui est fait de ces captations d’images », et que « d’autres caméras [aient] été placées dans les couloirs donnant accès aux locaux syndicaux, ouvrant la possibilité d’identifier les personnes franchissant le seuil de ces locaux ». Il incrimine également la durée de conservation des images, qui serait passée, sans aucune concertation, de sept jours à un mois. Des membres de la Cnil se sont déjà déplacés le 8 juin dans les locaux pour faire l’inventaire du dispositif.
Et côté Rue 89, quoi de neuf ? Pas grand chose, apparemment, dans la mesure où ni Pierre Haski, ni Augustin Scalbert n’ont été reconvoqués. Présent à la manifestation de soutien, ce dernier affirme « ne rien savoir, et ne toujours pas comprendre ce qu’on [lui] reproche ». En attendant, l’avocat de Rue89 a envoyé une lettre au parquet, demandant que les deux journalistes aient accès aux informations les concernant, invoquant « un traitement comparable à celui proposé à Julien Dray par le procureur de la République de Paris ». Pour mémoire, l’avocat de Dray, ainsi que toutes les parties, avaient obtenu de Jean-Claude Marin la communication de la totalité du dossier constitué dans le cadre de l’enquête préliminaire pour abus de confiance, faux et usage de faux visant le député PS.
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Hélène Marzolf Télérama