Vendredi 5 Février 2010
Après des débats houleux sur Hadopi, l'Assemblée montre de l'intérêt pour le rapport Zelnik. Problème: il est difficilement applicable.
Quand les industries culturelles et le piratage sont à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, on va au Palais Bourbon comme on va au cirque. L'examen des lois Dadvsi, Hadopi et Hadopi 2 avait viré au pugilat général et avait accouché de rebondissements aussi inattendus qu'une partie de
cache-cache derrière les rideaux. Alors, on se disait que l'audition à l'Assemblée mercredi 3 février des auteurs du
rapport Zelnik installés par Frédéric Mitterrand pour préparer une hypothétique Hadopi 3 allait encore se finir dans un bain de sang et ravir les adeptes de l'humour parlementaire.
Tout avait bien commencé. Patrick Zelnik, PDG du label indépendant Naïve, donnait d'emblée dans la provocation: «Dans la profession, Hadopi est considérée à l'étranger comme une loi homéopathique. La riposte graduée n'est pas jugée sévère.» Les députés socialistes, qui jugent la loi «liberticide», apprécient. Mais les cartes se brouillent rapidement et Patrick Zelnik poursuit son exposé en tapant à bras raccourci sur les majors qu'il juge responsable de la crise du disque. La gauche ne peut que retrouver le sourire.
C'est toute la complexité de ce rapport Zelnik. De prime abord, le casting rassemblé par Frédéric Mitterrand ressemble à une énième charge contre les internautes pirates, coupables de tous les maux: Patrick Zelnik, producteur de Carla Bruni et qui peut donc être suspecté de sarkozysme; Jacques Toubon, ancien député européen qui avait tout fait pour torpiller
l'amendement Bono censurant la loi Hadopi; et Guillaume Cerruti, ancien directeur de cabinet au ministère de la Culture qui avait en partie rédigé
la loi Dadvsi. Mais c'est oublier que Zelnik, drapé dans sa posture d'éditeur indépendant, crache de longue date sur les majors et que Toubon, écarté du Parlement européen par l'UMP, a retrouvé une grande liberté de parole.
La gauche bienveillante, la droite un peu larguéeQuand Patrick Bloche, un des spécialistes de l'anti-hadopisme au PS, prend la parole pour interroger les rapporteurs, il ne s'attaque qu'à une seule proposition: celle qui veut instaurer une taxe sur l'exploitation commerciale des films tombés dans le domaine public, un sujet qui devient d'actualité. Les droits d'auteur courent pendant 70 ans après la mort du dernier coauteur, ce qui fait que, par exemple, les Méliès sont tombés dans le domaine public le 1er janvier 2009.
Pour le reste, Patrick Bloche livre des bons points à plusieurs propositions et relève avec malice que le rapport Zelnik reprend plusieurs amendements socialistes rejetés lors de la bataille de la Dadvsi en 2004-2005. Le socialiste critique néanmoins le calendrier imposé par Sarkozy: «Il aurait fallu commencer par un rapport sur le financement de la création avant de voter une loi répressive [Hadopi].». Guillaume Cerutti lui répond: «Nous sommes ravis de voir que le PS est d'accord avec 90% de nos propositions.» L'estimation est un peu gonflée, mais Bloche ne bronche pas.
De leur côté, les députés UMP sont intéressés par le débat, mais ne semblent pas tout comprendre. Françoise de Panafieu sursaute quand un député évoque les impressionnantes parts de marché d'Apple sur le marché des baladeurs MP3 et des smartphones. Toisant son iPhone soudainement devenu cool au milieu des Blackberry de ses collègues, elle demande immédiatement confirmation aux spécialistes.
Un peu largués techniquement, les députés UMP sont forcément d'accord avec Zelnik puisque Sarkozy a
adoubé le rapport. Lionel Tardy, député UMP spécialiste du dossier et frondeur sur l'Hadopi, plaisante à l'issue de la séance: «Hadopi aura au moins eu le mérite de réveiller les consciences des parlementaires sur les sujets liés à l'Internet. Ce matin, la commission des Affaires culturelles a fait le plein, c'est très rare.»
Un rapport inapplicable?Si tout le monde est d'accord (ou presque), c'est merveilleux, il ne reste plus qu'à voter une loi dans une esprit de concorde nationale? En fait, non. Si le rapport Zelnik a d'intéressantes propositions, il a un gros défaut: il est en grande partie inapplicable.
La proposition phare, la gestion collective des droits (qui permettrait à Spotify, Deezer ou iTunes d'avoir accès au même catalogue et de ne plus avoir à négocier séparément avec les maisons de disques), avait
enflammé le Midem fin janvier: les majors y sont fermement opposées. Même Patrick Zelnik avoue à l'Assemblée son embarras: «J'y étais moi-même réticent en tant que patron de label. Mais je me suis rallié à Jacques Toubon parce que je n'avais rien de mieux à proposer.» Un médiateur, Emmanuel Hoog, de l'INA, a été nommé pour essayer de trouver un accord avec les maisons de disques avant la fin de l'année. Frédéric Mitterrand menace de faire de cette préconisation une «obligation», autrement dit une loi, si aucun accord n'est trouvé. Mais Nicolas Sarkozy aura-t-il le courage de contrarier les majors? Rien n'est moins sûr.
Autre proposition qui fait du bruit: le lancement d'une
carte prépayée de musique pour les jeunes financée à moitié par l'Etat. Sur le principe, la proposition fait un peu près consensus, même si les parlementaires sont sceptiques sur le réel effet qu'elle peut avoir sur les ventes de musique. Mais Sarkozy l'a déjà torpillée en fixant le prix à 200 euros (donc 100 euros payé par le jeune?!) alors que le rapport préconisait 50 euros. D'autre part, cette forme de subvention à la filière musicale a de bonnes chances d'être refusée par Bruxelles.
Quant à la proposition d'une «
taxe Google» pour financer la création, personne ne semble y croire vraiment, tant les obstacles sont nombreux: comment l'imposer au géant américain qui est installé fiscalement en Irlande? Comment convaincre Bruxelles? «On a un problème pour légiférer. Comme la finance, Internet est un sujet mondial et on doit faire des lois qui ne s'imposent que sur notre territoire national», reconnaît Lionel Tardy.
Un coup d'œil au calendrier législatif bouché suffit à enterrer un peu plus le rapport. Un peu embêtés, les rapporteurs suggèrent de se greffer sur des textes déjà programmés: «Vous pouvez faire passer certaines dispositions dans la loi sur le grand emprunt ou lors d'un éventuel collectif budgétaire [
texte corrigeant la loi de finance] avant l'été», déclare aux députés Jacques Toubon